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Patocka (1995:15-17) – corpo próprio e subjetividade

terça-feira 5 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

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[…] a relação entre o corpo próprio (Leib) e o subjetivo não é uma relação de concomitância ou de coordenação. Não é a correspondência de dois processos objetivos paralelos. O subjetivo é uma formação ativa e portadora de sentido, não causalmente produzida numa objetividade que teríamos de aceitar, mas motivada. Trata-se de um fluxo de atividade de sentido cujo ímpeto é fornecido por algo objetivo, capaz de ter sentido para ele; um fluxo que se move em vários níveis que se pressupõem e se edificam mutuamente, mas onde o subjetivo e o corpóreo têm uma apreensão tão firme um sobre o outro (ineinandergreifen) que o subjetivo é sempre encarnado e a corporeidade também subjetiva. A subjetividade é precisamente um corpo próprio assumido, que está sempre à beira de uma nova formação e doação de significado. Nesta espiral contínua de doação de sentido, temos de traçar os contornos do corpo subjetivo, ou seja, do corpo próprio, não como objeto, mas como ser vivo, que age, que percebe, que se relaciona imediatamente com os objetos. O corpo como sujeito — este paradoxo é, no entanto, um fenômeno, sem o qual nunca poderíamos compreender a visão, a audição, a percepção em geral, ou a ação humana.

Erika Abrams

Au fond cependant, ce qu’il s’agit de garantir, c’est le sens de l’expérience, notre liberté pour la vérité, la possibilité de porter le regard dans ce qui est et de voir ce que c’est. Par rapport à ce but, la conception absolue de l’effectuation va trop loin. On peut demander si une telle garantie de la vérité, une telle effectuation du sens en tant que susceptible d’intuition et contraignant, mais non pas, comme dans le processus de la nature, produit simplement de manière causale, est possible exclusivement en s’engageant dans la voie d’une conscience de soi absolue qui se saisit soi-même réflexivement et produit le monde comme son sens soutenu de façon unitaire. Il peut l’avoir aussi « effectuation de sens », c’est-à-dire compréhension principielle des phénomènes de l’étant, des hommes et des animaux, des choses de notre usage et du monde culturel, des objets de la nature et des signes, dans leur édification et la possibilité de les expérimenter, sans que tout cela soit rapporté à un sujet absolu, mais en le mettant plutôt en relation avec le sujet qui se comprend soi-même dans sa finitude. Acquérir cette compréhension principielle de soi serait donc une tâche qui précède les recherches sur le sol de la conscience pure.

S’il en est bien ainsi, si l’effectuation de l’expérience est à comprendre au sens d’une subjectivité finie, la question se pose aussitôt des rapports de cette subjectivité aux autres étants finis. Quels devront être ces rapports pour ne pas mettre en péril la liberté pour la vérité et l’ouverture authentique aux choses ? Chez Husserl   déjà, la phénoménologie voit que la finitude est étroitement liée à la corporéité et que le sujet fini est toujours un sujet incarné, inséré dans et uni au monde par un corps propre. Ce rapport au monde n’est bien sûr jamais définissable comme un rapport de cause à effet, au sens des sciences de la nature, mais tout au plus comme un rapport de motivation qui se laisse déterminer par des impulsions en provenance du donné. Husserl   s’en tiendra là, n’ira pas jusqu’à concevoir la dépendance à l’égard du corps comme une finitude définitive qui ne puisse jamais être pénétrée par le regard de la conscience, qui se ferme au principe à une élucidation dans la conscience et, partant, ne se laisse pas ressaisir dans la réflexion.

Les phénoménologues français, guidés sans doute, du moins en partie, par l’exemple de Maine de Biran  , ont une autre manière de voir et de travailler. Leur point de vue sur le rapport du corporel et du subjectif pourrait être illustré approximativement, si vous le voulez bien, par une analogie, en prenant l’exemple du langage et des objets culturels, disons de la vaisselle. Le langage est impossible par lui-même, sans quelque chose d’extérieur à quoi il est lié dans son expressivité. Bien qu’il exige également la faculté subjective de distanciation abstraite en tant qu’acquisition des significations, le langage est avant tout une objectivité dans laquelle nous nous trouvons, dont l’enfant prend petit à petit la mesure en grandissant et qui est maintenue par notre parler, par des actes de parole. Ce sont ces actes de parole, dans lesquels le langage prend corps (sich verkorpert) et qui sont comme les gestes du corps vivant, qui rendent ensuite possible une intériorité, à savoir un penser, un juger au sens plein. Le dedans subjectif s’appuie sur ce dehors sans lequel il serait impossible, sans lequel il ne saurait atteindre son plein développement. Le subjectif vise toujours des objets, se dirige vers quelque chose d’extérieur, mais en même temps il n’est possible qu’en tant que s’appuyant sur un dehors. Dans de nombreux objets culturels — notre exemple était celui des tasses et des assiettes — certains gestes humains fondamentaux sont, d’autre part, comme concrétisés, transformés en objets solides ; ce n’est qu’en s’appuyant sur ces concrétions que la vie peut recevoir une forme qui la rend humaine. Ainsi des objectités telles que le langage, provenant d’une donation subjective de sens, conditionnent l’apparition d’une vie subjective supérieure. Ainsi des corps physiques tels que les objets culturels, produits par la subjectivité créatrice et donatrice de sens, lui révèlent dans cette production même ses possibilités plus profondes — sans cette fixation de nos gestes, la dimension de l’art, par exemple, n’aurait en toute probabilité jamais été découverte. Il ne s’agit pas pour autant de processus naturels qu’on ne pourrait qu’observer et constater, mais au contraire, intégralement, d’histoire, de motivation, de donation de sens. Ceux qui rêvèrent jadis d’une histoire naturelle des arts et des métiers sur le modèle de la biologie, étaient on ne peut plus mal avisés. Cela étant, ne pourrait-on dire aussi, inversement : de même que le corporel (Körperliches), produit par une donation de sens, stimule derechef et développe la subjectivité, de même le subjectif est toujours préparé dans une corporéité d’une espèce particulière, dans un corps vivant, en tant qu’impulsion préalable de la donation de sens ? Le corps propre n’est-il pas une préhistoire qui précède notre histoire active ?

Dans ce cas, le rapport du corps propre au subjectif n’en est un ni de concomitance ni de coordination. Il ne s’agit pas de la correspondance de deux processus objectifs parallèles. Le subjectif est une formation active, donatrice de sens, qui n’est pas causalement produite dans une objectivité que force nous serait d’accepter, mais motivée. Il l’a là un flux d’activité donatrice de sens dont l’impulsion est fournie par quelque chose d’objectif, susceptible d’avoir pour lui une signification ; un flux qui se meut à plusieurs niveaux qui se présupposent mutuellement et s’édifient les uns sur les autres, mais où le subjectif et le corporel ont si bien prise l’un sur l’autre (ineinandergreifen) que le subjectif est toujours incarné et la corporéité aussi subjective. La subjectivité est précisément un corps propre assumé, qui va au-devant toujours d’une nouvelle formation et donation de sens. A l’intérieur de cet engrenage continu de donation de sens, il faudrait encore tracer en particulier les contours du corps subjectif, c’est-à-dire du corps propre, non pas en tant qu’objet, mais en tant que vivant, agissant, percevant, se trouvant immédiatement en rapport avec des objets. Le corps en tant que sujet — ce paradoxe est pourtant un phénomène, sans lequel on ne pourrait jamais comprendre la vision, l’audition, la perception en général, pas davantage que l’action humaine.

Peut-être est-ce précisément parce que la corporéité n’y est pas prise en compte que la conception kantienne de l’essence de l’expérience finie a un caractère abstrait qui empêche de comprendre pourquoi la synthèse du donné non seulement ouvre le monde, mais encore l’occulte et, comme Husserl   n’a cessé de le souligner, se perd dans des renvois sans fin. Le corps propre, qui ne peut jamais devenir objet, qui ne peut jamais être ressaisi dans l’objectivité, projette son ombre sur le monde de la perception en totalité et, par conséquent, sur tout le domaine de la donation de sens qu’on pourrait subsumer sous le titre d’objectivation. Le monde, présent dans le corps vivant, s’y ouvre à soi-même, devient phénomène, se prend pour ainsi dire en main, de la manière finie seule possible à la main — morceau par morceau, avec des renvois ; opérant des prises à l’aide de sa corporéité, palpant à l’aide de sa chair, sans toutefois jamais l’intégrer dans une objectivité parfaite.

On pourrait donc dire : le fondement des synthèses d’expérience n’est pas un moi transcendantal, mais la subjectivité incarnée. Nous ne sommes pas originellement insérés dans le monde par nos effectuations de pensée, mais par le corps propre, plus précisément en tant que corps subjectif qui ne se résorbe jamais dans la réflexion. C’est lui qui opère les synthèses d’expérience, avant tout en vertu de sa faculté de mouvement propre. Le pouvoir-se-mouvoir est inséparable de ses effectuations objectivantes, car c’est cette faculté motrice qui lui donne la liberté pour les choses, la possibilité de voir au travers, au-delà des limites de sa situation et de sa posture momentanées, de vivre dans des perspectives sans pour autant s’y dissoudre — de se ménager ainsi, par son mouvement, une certaine stabilité.

Nous arrivons là à notre thème proprement dit : le mouvement subjectif. Le mouvement dont je voudrais parler ici n’est pas seulement le mouvement volontaire, mais toute espèce de mouvement inséparable d’un sujet, dont le sens intime implique un sujet : les mouvements provoqués par la douleur, par exemple, ou encore ceux qu’on accomplit sous le coup de la surprise ou lorsqu’on se laisse aller à ses automatismes. Les mouvements des yeux qui suivent leur objet, la marche de l’écolier effectuant son trajet quotidien, le cri de douleur sont, en ce sens, des mouvements subjectifs.


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[PATOCKA, J. Papiers phénoménologiques. Erika Abrams. Grenoble: J. Millon, 1995, p. 16-17]